Je ne fais pas plus mon âge qu’il ne me fait.
Je me remémore, bien qu’imparfaitement, chaque itinéraire, chaque chemin emprunté, longtemps après m’y être rendu.
Je me replace dans le temps : un pas devant l’autre, un muscle à la fois. Des jours sans dormir, des nuits sans veiller; toujours aussi avide de sensations.
« Vieillir est un mot qui signifie s’éloigner.
Prendre le temps, c’est aussi prendre l’espace. » *
Les voyages n’ont pas formé ma jeunesse.
Je suis demeuré vague, tangent et difforme, errant dans des labyrinthes où le temps s’écoule différemment, où la colère se dissout en égarements quelconques, souvent au point fixe d’un lieu sans coordonnées, là où le soi libéré s’exerce à jubiler, hors du périmètre de l’égo.
Loin des quadrilatères sociaux où chaque effort, chaque douleur, chaque abandon se voient taguées et géolocalisées (et le moindre mouvement sauvegardé dans un nuage de cellules de plus en plus orageuses), persistent des joies panoramiques moins fréquentées, et d'autant plus précieuses : vastes horizons aux haies ensauvagées et aux lierres attachants. Autant de pistes qu’il importe plus que jamais de déchiffrer.
On ne peut évidemment faire le tour de ces lieux sans qu’une question, sans réponse définitive, finisse par nous hanter : mais où donc est passé tout ce temps? Tout voyage étant d’abord un déplacement de la durée, ne se serait-il pas simplement métamorphosé?
Il y a plus à dire sur le temps – pour autant qu’il nous ait fait, ou nous fera, un tant soit peu – que sur nos inconsistances répétées, qui ne mènent jamais bien loin.
À défaut de certitudes, on peut se chuchoter quelques idées de trajectoires, question de garder le cap – et le frimas à distance.
Je ne serai peut-être jamais mûr pour la fièvre, mais j’ai au moins appris à ne plus trop m’en émouvoir. Ce qui me permet encore d’attendre, j’en oublie peu à peu la raison, et c’est très bien ainsi. Le trajet me suffit, et je n’ai plus de temps pour de vaines interrogations et d'autres théories alambiquées.
Je veux continuer de marcher quand bon me semble, comme il me convient et là où ça me chante.
Je veux arpenter des rues, escalader des murs, monter au délire de lunes brumeuses qui labourent la chair.
Il faut partir sans bagage, et sans destination, et ne jamais revenir qu’ailleurs - et transformé.
Ce n’est qu’en refusant de se laisser enfermer qu’on peut atteindre l’âge du dehors.
*Serge Bouchard, La prière de l’épinette noire
Il faut partir sans bagage …et ne jamais revenir qu’ailleurs et transformé ! J’adore ☺️